[ Pobierz całość w formacie PDF ]
A la nouvelle de la fuite d'Héloïse, Fulbert était tombé comme en démence. Dans sa douleur et sa colère, il ne
savait comment se venger d'Abélard, quelles embûches lui tendre, enfin quel mal lui faire. S'il le tuait, s'il le
mutilait par quelque blessure cruelle, il craignait que sa nièce bien-aimée n'en fût punie par la famille du
ravisseur qui l'avait recueillie. Quant à se rendre maître par force de sa personne, il ne l'espérait pas. Abélard
se tenait sur ses gardes, prêt à l'attaquer s'il fallait se défendre. Peu à peu il prit pitié de cette extrême douleur,
ou plutôt il sentit qu'il fallait absolument sortir d'une situation critique en réparant sa faute; il résolut de
s'accuser du crime de son amour comme d'une trahison, il vint trouver le chanoine, avec des prières et des
promesses, s'engageant à lui accorder la réparation qu'on exigerait. La passion, en effet, ou peut-être la crainte
lui rendait tout acceptable et tout facile; il se disait que les plus grands hommes avaient succombé comme lui,
et pour apaiser Fulbert, pour le satisfaire au delà de toute espérance, il offrit le mariage, pourvu que le mariage
restât secret; car il appréhendait que cela ne nuisît à sa réputation aussi bien qu'aux chances de son ambition
dans l'église. Fulbert consentit. La réconciliation fut scellée par un échange de parole et par les embrassements
de l'oncle et des siens. Tout cela peut-être cachait de leur part un projet de trahison. Il semble que Fulbert n'ait
jamais renoncé à la pensée de quelque noire vengeance conçue dès le premier jour.
Abélard retourna en Bretagne pour y chercher celle qui allait devenir sa femme. Mais elle n'approuva pas son
projet, et elle entreprit de l'en dissuader. Cette fille héroïque ne songeait, disait-elle, qu'au péril et à l'honneur
de son amant. Elle ne croyait pas qu'aucune satisfaction désarmât son oncle; elle le connaissait et pressentait
les sombres desseins de cette âme ulcérée. Puis, elle demandait quelle gloire il y aurait pour elle à ternir la
gloire d'Abélard par un hymen qui les humilierait tous deux[76]. Que ne lui ferait pas le monde, auquel elle
allait enlever sa lumière? De quelles malédictions de l'Église, de quels regrets des philosophes ce mariage
serait suivi! quelle honte et quelle calamité qu'un homme créé pour tous se consacrât à une seule femme! Elle
le détestait, s'écriait-elle avec véhémence, ce mariage qui serait un opprobre et une ruine.
[Note 76: Le discours étrange et pressant par lequel Héloïse tenta de détourner Abélard du mariage a été
remarqué et même admiré de tout temps. Plusieurs auteurs le citent; nous ne rappellerons qu'un témoignage
peu sérieux, mais qui n'en est pas moins frappant. Dans le Roman de la Rose, l'un des auteurs, Jehan de
Meung, qui avait, il est vrai, translaté en françhois la Vie et les Epistres de maîstre Pierre Abayalard et
Héloys sa femme, voulant faire le procès du mariage, s'exprime ainsi:
Pierres Abaillart reconfesse
Que suer Heloïs, l'abeesse
Du Paraclet, qui fu s'amie,
Accorder ne se voloit mie,
LIVRE PREMIER. 36
Abelard, Tome I
Por riens qu'il la préist à fame:
Ains il faisoit la genne dame
Bien entendant et bien lettrée.
Et bien amant, et bien amée,
Argumens à il chastier
Qu'il se gardast de marier.
Et il continue en rimant toutes les raisons d'Héloïse et même quelque chose de l'aventure qui suivit. (Édit. de
M. Méon, t. II, p. 213. Les Manuscrits de la Bibliothèque du Roi, par M. Paulin Paris, t. V, no. 7071, p. 39.)]
L'Apôtre n'en a-t-il pas signalé tous les ennuis, toutes les gênes, toutes les sollicitudes, lorsqu'il dit: «Vous
êtes sans femme, ne cherchez point de femme.» Et qu'il ajoute: «Je veux que vous viviez sans tourment
d'esprit.» (I Cor. VII, 27 et 32.) Si l'on récuse les saints en de telles matières, qu'on écoute les sages. Ne
sait-on plus ce que saint Jérôme dit de Théophraste, que l'expérience avait amené à conclure contre le
mariage des philosophes, et ce que répondit Cicéron à Hirtius qui lui conseillait de se remarier: «Je ne puis
m'occuper également à la fois d'une femme et de la philosophie[77].» Abélard, d'ailleurs, ne devait-il pas se
rappeler sa manière de vivre? Comment mêler des écoliers à des servantes, dea écritures à des berceaux, des
livres et des plumes à des fuseaux et à des quenouilles? Quel esprit plongé dans les méditations sacrées ou
philosophiques pourrait supporter les cris des enfants, les chants monotones des nourrices qui les apaisent,
tout le bruit d'un ménage nombreux? Cela est bon pour les riches dont les maisons sont des palais, et à qui
l'opulence épargne tous les ennuis; mais ce ne sont pas des riches que les philosophes. Leurs pensées vont mal [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]
zanotowane.pl doc.pisz.pl pdf.pisz.pl exclamation.htw.pl
A la nouvelle de la fuite d'Héloïse, Fulbert était tombé comme en démence. Dans sa douleur et sa colère, il ne
savait comment se venger d'Abélard, quelles embûches lui tendre, enfin quel mal lui faire. S'il le tuait, s'il le
mutilait par quelque blessure cruelle, il craignait que sa nièce bien-aimée n'en fût punie par la famille du
ravisseur qui l'avait recueillie. Quant à se rendre maître par force de sa personne, il ne l'espérait pas. Abélard
se tenait sur ses gardes, prêt à l'attaquer s'il fallait se défendre. Peu à peu il prit pitié de cette extrême douleur,
ou plutôt il sentit qu'il fallait absolument sortir d'une situation critique en réparant sa faute; il résolut de
s'accuser du crime de son amour comme d'une trahison, il vint trouver le chanoine, avec des prières et des
promesses, s'engageant à lui accorder la réparation qu'on exigerait. La passion, en effet, ou peut-être la crainte
lui rendait tout acceptable et tout facile; il se disait que les plus grands hommes avaient succombé comme lui,
et pour apaiser Fulbert, pour le satisfaire au delà de toute espérance, il offrit le mariage, pourvu que le mariage
restât secret; car il appréhendait que cela ne nuisît à sa réputation aussi bien qu'aux chances de son ambition
dans l'église. Fulbert consentit. La réconciliation fut scellée par un échange de parole et par les embrassements
de l'oncle et des siens. Tout cela peut-être cachait de leur part un projet de trahison. Il semble que Fulbert n'ait
jamais renoncé à la pensée de quelque noire vengeance conçue dès le premier jour.
Abélard retourna en Bretagne pour y chercher celle qui allait devenir sa femme. Mais elle n'approuva pas son
projet, et elle entreprit de l'en dissuader. Cette fille héroïque ne songeait, disait-elle, qu'au péril et à l'honneur
de son amant. Elle ne croyait pas qu'aucune satisfaction désarmât son oncle; elle le connaissait et pressentait
les sombres desseins de cette âme ulcérée. Puis, elle demandait quelle gloire il y aurait pour elle à ternir la
gloire d'Abélard par un hymen qui les humilierait tous deux[76]. Que ne lui ferait pas le monde, auquel elle
allait enlever sa lumière? De quelles malédictions de l'Église, de quels regrets des philosophes ce mariage
serait suivi! quelle honte et quelle calamité qu'un homme créé pour tous se consacrât à une seule femme! Elle
le détestait, s'écriait-elle avec véhémence, ce mariage qui serait un opprobre et une ruine.
[Note 76: Le discours étrange et pressant par lequel Héloïse tenta de détourner Abélard du mariage a été
remarqué et même admiré de tout temps. Plusieurs auteurs le citent; nous ne rappellerons qu'un témoignage
peu sérieux, mais qui n'en est pas moins frappant. Dans le Roman de la Rose, l'un des auteurs, Jehan de
Meung, qui avait, il est vrai, translaté en françhois la Vie et les Epistres de maîstre Pierre Abayalard et
Héloys sa femme, voulant faire le procès du mariage, s'exprime ainsi:
Pierres Abaillart reconfesse
Que suer Heloïs, l'abeesse
Du Paraclet, qui fu s'amie,
Accorder ne se voloit mie,
LIVRE PREMIER. 36
Abelard, Tome I
Por riens qu'il la préist à fame:
Ains il faisoit la genne dame
Bien entendant et bien lettrée.
Et bien amant, et bien amée,
Argumens à il chastier
Qu'il se gardast de marier.
Et il continue en rimant toutes les raisons d'Héloïse et même quelque chose de l'aventure qui suivit. (Édit. de
M. Méon, t. II, p. 213. Les Manuscrits de la Bibliothèque du Roi, par M. Paulin Paris, t. V, no. 7071, p. 39.)]
L'Apôtre n'en a-t-il pas signalé tous les ennuis, toutes les gênes, toutes les sollicitudes, lorsqu'il dit: «Vous
êtes sans femme, ne cherchez point de femme.» Et qu'il ajoute: «Je veux que vous viviez sans tourment
d'esprit.» (I Cor. VII, 27 et 32.) Si l'on récuse les saints en de telles matières, qu'on écoute les sages. Ne
sait-on plus ce que saint Jérôme dit de Théophraste, que l'expérience avait amené à conclure contre le
mariage des philosophes, et ce que répondit Cicéron à Hirtius qui lui conseillait de se remarier: «Je ne puis
m'occuper également à la fois d'une femme et de la philosophie[77].» Abélard, d'ailleurs, ne devait-il pas se
rappeler sa manière de vivre? Comment mêler des écoliers à des servantes, dea écritures à des berceaux, des
livres et des plumes à des fuseaux et à des quenouilles? Quel esprit plongé dans les méditations sacrées ou
philosophiques pourrait supporter les cris des enfants, les chants monotones des nourrices qui les apaisent,
tout le bruit d'un ménage nombreux? Cela est bon pour les riches dont les maisons sont des palais, et à qui
l'opulence épargne tous les ennuis; mais ce ne sont pas des riches que les philosophes. Leurs pensées vont mal [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]